Portrait de Wilfred Emmanuel-Jones, fondateur de la marque The Black Farmer, dans un paysage agricole britannique.

Wilfred Emmanuel-Jones “The Black Farmer” qui a réinventé l’agriculture premium

« La couleur de ma peau est devenue ma marque de fabrique. » – Wilfred Emmanuel-Jones

 

À Birmingham, dans les années 1960, un petit garçon noir regarde par la fenêtre de son appartement exigu. Son père, immigré jamaïcain, travaille sans relâche pour nourrir ses neuf enfants. Mais Wilfred, lui, rêve d’autre chose. Son obsession ? La campagne. Les champs. Les animaux. Les fermes qu’il aperçoit à la télévision.

Un jour, adolescent, il promet à son père : « Un jour, j’aurai ma propre ferme. » Dans le Birmingham ouvrier et ségrégué des années 70, cette phrase sonne comme une provocation. Comment un fils d’immigrés, sans fortune ni réseau, pourrait-il percer dans le monde rural britannique l’un des environnements les plus fermés et élitistes d’Angleterre ?

La première étape de son parcours ne se passe pas dans les champs, mais dans les studios de télévision. Wilfred devient caméraman, puis producteur pour la BBC. C’est là qu’il comprend une vérité fondamentale : raconter une histoire, c’est capter une attention et créer une identité.

Cette compétence, il ne la sait pas encore, deviendra sa plus grande arme entrepreneuriale. Après plusieurs années dans les médias, il décide de franchir le pas, investir dans un lopin de terre dans le Devon, au sud-ouest de l’Angleterre.

À la fin des années 1990, Wilfred lance sa marque, The Black Farmer. L’idée est simple et audacieuse, vendre des produits alimentaires, saucisses, sauces, épices premium, 100 % britanniques, mais portés par une identité afro-caribéenne assumée.

 

Le pari est risqué. Dans l’agriculture anglaise, où la majorité des exploitants sont blancs et héritiers de générations de fermiers, voir un homme noir revendiquer sa place est presque révolutionnaire. Mais Wilfred fait de cette différence un atout marketing.

Son packaging affiche fièrement sa silhouette en chapeau de cow-boy, avec un slogan direct : “Gluten Free, Full of Flavour, Proud to Be Different.”

En quelques années, The Black Farmer devient une marque incontournable dans les supermarchés britanniques.

  • Plus de 20 millions de livres de chiffre d’affaires annuel.
  • Distribution dans toutes les grandes enseignes comme Tesco, Sainsbury’s et Waitrose.
  • Extension de gamme vers les sauces, marinades, produits bio et même une ligne de vêtements “rural chic”.

Ce succès repose sur une vision stratégique, associer une identité forte à une qualité irréprochable. Dans une interview, Wilfred résumait :
« Je n’ai jamais voulu qu’on achète mes produits par charité ou par militantisme. Je voulais qu’ils soient les meilleurs du marché. »

Au-delà du succès commercial, Wilfred incarne une rupture symbolique. L’agriculture en Angleterre est historiquement dominée par des élites blanches, souvent issues de familles aristocratiques. Lui, fils d’immigrés jamaïcains, s’impose comme entrepreneur indépendant.

Il ouvre ainsi un débat sur la diversité dans l’agriculture et inspire une nouvelle génération d’agriculteurs issus de minorités. The Black Farmer Scholarship une bourse financée par sa société permet d’offrir des stages et formations à des jeunes issus de milieux défavorisés qui souhaitent travailler dans l’agroalimentaire.

Wilfred Emmanuel-Jones est plus qu’un simple entrepreneur, c’est un storyteller qui a compris comment transformer sa vie en marque. En baptisant sa société The Black Farmer, il transforme ce qui aurait pu être un handicap social sa couleur de peau en levier économique et narratif.

Sa démarche résonne fortement dans la diaspora africaine et caribéenne, affirmer son identité, non comme un obstacle, mais comme un avantage concurrentiel.

Aujourd’hui, Wilfred multiplie les conférences, mentorats et interventions médiatiques. Il plaide pour :

  • Une diversité accrue dans l’agriculture et l’agroalimentaire.
  • Une valorisation économique de la différence culturelle.
  • Une connexion plus forte entre la diaspora afro-caribéenne et les industries locales.

Dans une économie mondialisée où les identités deviennent des forces de marché, son modèle inspire bien au-delà du Royaume-Uni.

L’histoire de Wilfred Emmanuel-Jones porte un message fort pour les entrepreneurs africains et afrodescendants : l’authenticité est une stratégie de croissance. Plutôt que d’effacer son identité pour se conformer aux codes existants, il l’a transformée en valeur ajoutée.

Cette approche, appliquée à l’Afrique, peut ouvrir des perspectives dans l’agroalimentaire, le luxe, la culture et le tourisme. L’idée n’est pas seulement de produire, mais de produire avec une identité forte, capable de séduire les marchés mondiaux.

« La couleur de ma peau est devenue ma marque de fabrique. Dans un secteur où personne ne me ressemblait, j’ai décidé d’en faire une force. » – Wilfred Emmanuel-Jones

De Birmingham à Londres, des studios de la BBC aux supermarchés britanniques, Wilfred Emmanuel-Jones a réinventé les règles du jeu. The Black Farmer n’est pas seulement une marque alimentaire, c’est une leçon de branding, de résilience et de leadership.

Il nous rappelle que l’entrepreneuriat ne consiste pas à copier les modèles existants, mais à créer un univers qui vous ressemble et qui transforme vos différences en succès économiques.

 

 

Une contribution Kwame ENKOUN pour Africa TIMES Magazine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

News Picture

Login