EXCLUSIF – Le patron de Forterro nous reçoit dans ses bureaux londoniens. Costume sur mesure, montre Rolex, vue imprenable sur la Tamise. Difficile d’imaginer que cet homme a dormi dans sa voiture il y a encore vingt ans.
Par Christian GBAGUIDI, pour Africa TIMES
« Vous voulez connaître mon vrai secret business ? Les centres d’hébergement d’urgence. » Dean Forbes, 44 ans, CEO de l’empire tech Forterro (1,7 milliard £), nous balance cette phrase comme une bombe. Dans le monde feutré de la finance londonienne, on n’a pas l’habitude d’entendre parler de sans-abrisme lors des pitchs investisseurs.
Pourtant, c’est exactement ce qui différencie Dean Forbes de ses concurrents en costume-cravate. Pendant que les autres apprenaient la théorie dans les écoles de commerce, lui apprenait la survie dans les rues de Lewisham.
Retour en 1995. Dean a 17 ans et vient de se faire virer de l’académie de Crystal Palace FC. Son rêve de devenir footballeur professionnel s’effondre. Sa mère, atteinte de dystrophie musculaire, perd son emploi la même semaine. Résultat, sans-abri pour la deuxième fois de sa jeune vie.
Mais voici le détail qui change tout, Dean refuse de jouer les victimes. Criblé de dettes contractées pour suivre le train de vie de ses anciens coéquipiers devenus pros, il décroche le premier boulot venu, téléopérateur chez Motorola. Salaire minimum, bureau sans fenêtre, collègues qui le regardent de travers.
« Je me décris comme un footballeur raté, deux fois sans-abri, qui s’est retrouvé à faire de la vente par téléphone pour rembourser ses dettes », nous confie-t-il en souriant. Ce sourire, c’est sa marque de fabrique. Celui qui transforme chaque échec en opportunité d’apprentissage.
Chez Motorola, Dean développe ce qu’il appelle aujourd’hui sa « philosophie des centres d’hébergement ». Quand on a vécu dans l’urgence permanente, on apprend à identifier instantanément les vrais problèmes. Quand on a côtoyé la précarité, on comprend instinctivement les besoins non exprimés.
Sa progression devient fulgurante. Motorola, Oracle, Primavera Systems, Dean gravit les échelons en appliquant une méthode révolutionnaire pour le monde tech. Écouter vraiment. Comprendre profondément. Agir rapidement.
« Dans la tech, tout le monde parle de disruption technologique. Moi, je fais de la disruption humaine », explique-t-il en ajustant sa cravate Hermès.
2021, Partners Group, mastodonte suisse de l’investissement (130 milliards d’euros d’actifs), cherche un CEO pour Forterro, société londonienne de logiciels industriels en difficulté. Sur le papier, Dean n’a pas le profil classique. Pas d’HEC, pas de réseau familial dans la City, pas de parcours linéaire.
Mais il a quelque chose que les autres n’ont pas, cette capacité unique à transformer les équipes qu’il dirige.
Le défi est titanesque. Forterro stagne, les concurrents grignotent, les investisseurs s’impatientent. Dean a douze mois pour inverser la courbe. Pression maximale.
Sa stratégie ? Révolutionnaire par sa simplicité. Fini les réunions interminables dans les salles feutrées de Canary Wharf. Dean descend sur le terrain, rencontre chaque équipe, écoute chaque problème. « Mon expérience de la rue m’a appris que les meilleures solutions viennent toujours d’en bas », explique-t-il.
En moins d’un an, Forterro devient une licorne européenne. Février 2022, Partners Group valorise l’entreprise à plus d’un milliard d’euros. Dean pleure devant les caméras. Pas de joie, nous précise-t-il, mais de « rage pure contre tous ceux qui m’avaient sous-estimé ».
Aujourd’hui, Forterro affiche 1,7 milliard de livres de valorisation. Dean emploie 2 000 personnes à travers l’Europe. Octobre 2024, consécration ultime avec le titre de personnalité noire la plus influente du Royaume-Uni.
« Vous savez ce qui différencie un leader tech ordinaire d’un leader exceptionnel ? » Dean se penche vers nous, l’œil pétillant. « L’empathie opérationnelle. Cette capacité à comprendre instantanément ce que vit votre équipe, vos clients, vos partenaires. »
Cette empathie, Dean l’a développée dans les moments les plus durs. Quand on a eu faim, vraiment faim, on comprend l’urgence différemment. Quand on a dormi dans sa voiture, on sait ce que signifie la précarité. Quand on a été rejeté cent fois, on apprend à rebondir.
« Ma mère m’a toujours dit, chaque épreuve est un défi temporaire. Aujourd’hui, je dirige un empire tech avec cette philosophie », confie celui qui n’oublie jamais d’où il vient.
Avec sa femme Danielle et leur fille Davina, il a créé le Forbes Family Group pour accompagner les jeunes défavorisés. Parce que Dean Forbes a compris une chose que beaucoup ignorent encore, la vraie disruption ne vient pas des algorithmes, elle vient de l’humain.