Portrait en noir et blanc d’une femme posant en style professionnel sur fond uni.

La Discrète Impératrice du Cacao : Patricia Poku-Diaby, 720 Millions de Dollars Sans un Tweet

Découvrez l’histoire de Patricia Poku-Diaby, figure discrète mais puissante du cacao africain, bâtissant un empire industriel loin des projecteurs.

 

720 millions de dollars. Zéro interview. Aucun compte Instagram. Patricia Poku-Diaby est la femme la plus riche du Ghana, et vous n’en avez probablement jamais entendu parler. Dans un monde obsédé par la visibilité, cette industrielle du cacao a bâti un empire en restant obstinément dans l’ombre. Son secret ? Transformer 32 000 tonnes de cacao par an pendant que d’autres organisent des conférences sur l’entrepreneuriat africain.

L’histoire commence à Abidjan, dans une fratrie de dix-huit enfants. Dix-huit. Patricia est la fille de Francis Kojo Poku, entrepreneur ghanéen devenu légende en Côte d’Ivoire. Pharmaceutique, bois, transport… le patriarche touchait à tout, avec l’audace caractéristique des self-made men africains des années 1980.

Dans les bureaux de l’entreprise familiale, la jeune Patricia n’apprenait pas seulement à lire des bilans. Elle absorbait l’art de sentir un marché, de comprendre la logistique complexe des commodités, de négocier avec des partenaires aux quatre coins du monde. Une époque où une jeune femme dans ce secteur était encore une anomalie. Mais les Poku ne font jamais les choses comme les autres.

Patricia décide de voler de ses propres ailes en fondant Plot Enterprise Ghana Ltd. Pas dans un élan romantique, mais avec le pragmatisme d’une femme qui sait exactement où elle va. Elle mise tout sur la transformation du cacao : non pas le négoce de fèves brutes, mais la production de liquor, beurre et poudre de cacao. Des produits semi-finis à haute valeur ajoutée.

Le coup de maître ? Un investissement de 90 millions de dollars dans une usine ultramoderne à Takoradi. Quatre-vingt-dix millions. Une somme vertigineuse pour l’époque. Mais Patricia ne fait jamais les choses à moitié. Elle importe des équipements de pointe, met en place des systèmes de traçabilité et décroche des certifications internationales en un temps record.

L’usine démarre en 2010 avec une capacité de broyage de 32 000 tonnes métriques par an, plus de 600 employés, et un chiffre d’affaires dépassant les 50 millions de dollars. Ses produits partent vers les États-Unis, l’Europe, l’Asie, l’Australie : des marchés impitoyables où la moindre variation de qualité se paie cash.

Pendant ce temps, elle déploie Plot Enterprise Côte d’Ivoire et acquiert une installation de 16 000 tonnes à Abidjan. Double origine, double capacité. Patricia Poku-Diaby ne joue pas dans la cour des PME africaines. Elle rivalise directement avec Barry Callebaut, Cargill, Olam… les mastodontes du cacao mondial. Et elle tient son rang.

Tout ne se fait pas sans accrocs. En 2015, année où elle est consacrée femme la plus riche du Ghana, le COCOBOD l’accuse d’avoir des dettes impayées de 26,7 millions de dollars. Une somme qui peut couler une entreprise. Les langues vont bon train à Accra. Certains prédisent déjà la chute.

Mais Patricia ne dit rien. Pas de communiqué indigné. Pas de cri au complot. Elle négocie, discrètement, efficacement. L’affaire se règle sans qu’on ne sache vraiment comment. Les opérations continuent. L’usine tourne. Les contrats sont honorés. Ce silence assourdissant en dit long sur sa méthode : elle ne gère pas les crises dans les médias, mais dans les salles de réunion.

Au-delà du cacao, Patricia a diversifié : coton, noix de cajou, bois. Plus surprenant encore, elle s’est lancée dans la méso-finance avec Innov Finances, un secteur essentiel pour financer les PME africaines. Un projet dont on parle peu, mais qui correspond à sa philosophie : créer de la valeur là où personne ne regarde.

Car si Patricia transforme du cacao, elle transforme aussi l’écosystème économique ghanéen. Ses 600 employés directs ont des familles. Ses fournisseurs sont des milliers de petits agriculteurs. Ses investissements créent une valeur qui reste au Ghana plutôt que de s’évaporer vers l’Europe.

Ce qui fascine le plus, c’est son invisibilité volontaire. Pas d’interview fleuve dans les magazines. Pas de jet privé sur Instagram. Pas de conférences TED avec punchlines mémorables. Ses rares apparitions publiques ? Les EMY Awards 2019 et l’exposition Women Icons 2023 à Takoradi. Elle sourit poliment, puis disparaît.

Cette discrétion est-elle une stratégie ou une préférence ? Probablement les deux. Dans un secteur aussi lucratif que celui des commodités, rester sous les radars a ses avantages. Moins de questions embarrassantes. Moins de jalousies. Moins de pression pour jouer les ambassadrices.

Il existe d’ailleurs une anecdote savoureuse : une autre Patricia Poku a dû publier un communiqué pour dire qu’elle n’était pas la milliardaire, fatiguée d’être confondue avec elle. Cette confusion même révèle quelque chose : Patricia Poku-Diaby est si peu présente médiatiquement que même son identité peut être floue.

L’histoire de Patricia Poku-Diaby prouve que l’excellence africaine n’a pas besoin de marketing. Elle performe, concurrence les géants mondiaux, mais ne mendie pas de reconnaissance. Trop souvent, on nous sert des “African feel-good stories” emballées pour plaire aux ONG et aux journalistes.

Patricia, elle, ne rentre dans aucune case. Elle ne pleure pas sur le manque d’infrastructures. Elle ne dénonce pas le néocolonialisme à chaque interview. Elle construit. Point. Et c’est peut-être cela, la vraie révolution : une Africaine qui bâtit un empire industriel sans avoir besoin de raconter à quel point c’est difficile. Elle le fait, simplement.

Si l’on devait retenir une seule chose, ce serait celle-ci : le vrai pouvoir n’a pas besoin d’applaudissements. Il se construit dans l’ombre, transaction après transaction, tonne de cacao après tonne de cacao.

Pendant que d’autres multiplient les conférences sur l’entrepreneuriat africain, elle broie du cacao. Pendant que certains se plaignent du manque de financement, elle investit 90 millions dans une usine. Pendant que beaucoup parlent d’autonomisation des femmes, elle emploie des centaines de personnes et crée de la valeur à la tonne.

Et pendant que vous lisez ces lignes, quelque part à Takoradi, les machines de Plot Enterprise tournent. Trente-deux mille tonnes cette année. Peut-être quarante mille l’année prochaine. Sans communiqué de presse. Sans célébration. Sans bruit.

Juste le ronronnement régulier d’un empire qui se construit, fève après fève, dans le plus grand secret. Et c’est très bien comme ça.

Par Kwame ENKOUN, pour Africa TIMES Magazine

 

 

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