Violée à 11 ans, analphabète jusqu’à 16 ans, aujourd’hui leader mondiale de la tech, l’histoire de cette Sénégalaise défie toutes les probabilités et inspire un continent entier.
Dans un monde où le talent technologique se conjugue trop souvent au masculin et à l’occidental, une voix s’élève avec une force troublante. Celle de Lady Mariéme Jamme, une femme dont le parcours incarne à lui seul toutes les contradictions et tous les espoirs de l’Afrique contemporaine. Née au Sénégal dans une famille aristocratique, abandonnée par sa mère, survivante d’abus sexuels, autodidacte ayant appris à lire et écrire à 16 ans seulement, elle est devenue l’une des figures les plus influentes de la révolution numérique africaine.
Aujourd’hui Young Global Leader du Forum économique mondial de Davos, lauréate du prix de l’innovation aux Global Goals Awards 2017 décerné par la Fondation Bill et Melinda Gates et l’UNICEF, Mariéme Jamme n’a pas seulement réussi à transformer son destin. Elle s’est donnée pour mission de changer celui d’un million de femmes et de jeunes filles à travers le continent africain d’ici 2030.
L’histoire de Mariéme Jamme commence dans les rues de Kaolack, au Sénégal, où elle grandit séparée de sa famille. Les traumatismes de l’enfance auraient pu la briser définitivement. Au lieu de cela, ils ont forgé en elle une détermination d’acier et une empathie profonde pour les plus vulnérables. « J’ai dû complètement refuser mon identité d’aristocrate pour être juste une personne normale, parce que je ne croyais pas en ça », confie-t-elle, révélant son esprit rebelle et son désir farouche d’autonomie.
Dans les années 1990, après le décès de son père, elle s’installe en France puis en Angleterre, où elle enchaîne les petits boulots dans la restauration et le nettoyage pour financer ses études. C’est là, dans cette réinvention permanente, qu’elle découvre sa passion pour la technologie et son extraordinaire capacité à connecter les mondes.
Forte de plus de vingt ans d’expérience dans le secteur technologique, elle fonde SpotOne Global Solutions, une entreprise britannique qui aide les organisations informatiques à s’implanter dans les marchés émergents. Mais surtout, elle crée Africa Gathering, l’une des principales plateformes en Europe permettant aux entreprises, gouvernements, investisseurs et entrepreneurs de partager des idées sur le développement africain.
C’est en 2016 que Mariéme Jamme lance son projet le plus ambitieux, iamtheCODE, le premier mouvement mondial dirigé par des Africains pour mobiliser gouvernements, secteur privé et fondations philanthropiques autour de l’éducation STEAMD (Sciences, Technologie, Ingénierie, Arts, Mathématiques, Entrepreneuriat et Design). L’objectif est vertigineux, former un million de femmes et de jeunes filles au codage d’ici 2030, en alignement avec les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies.
« Si on apprend aux jeunes filles à coder, en 2030 elles seront autonomes », martèle-t-elle avec conviction. Sa méthodologie est unique, un programme intensif de 12 semaines déployé dans les écoles, les communautés et même les camps de réfugiés, où les participantes apprennent au moins quatre langages de programmation, Java, Python, Ruby et les bases du HTML, tout en étant sensibilisées aux enjeux mondiaux du développement durable.
Le mouvement a déjà porté ses fruits dans 34 pays africains. Au Sénégal, Mariéme a créé Jjiguene Tech Hub, le premier réseau d’innovation technologique pour femmes du pays, où de jeunes Sénégalaises codent, développent leurs propres entreprises et forment à leur tour d’autres jeunes filles. En Ouganda, Barbara Burungi, formée selon cette même méthodologie, dirige maintenant son propre centre de formation.
Ce qui frappe chez Mariéme Jamme, c’est son sentiment d’urgence palpable. « L’Afrique doit être au centre de la disruption technologique maintenant, pas demain », insiste-t-elle. Pour elle, le continent ne peut plus se contenter d’être spectateur de la révolution numérique. Il doit en devenir acteur et même précurseur.
Sa vision dépasse largement le simple apprentissage du code. Elle plaide pour une approche holistique intégrant l’intelligence artificielle, le machine learning, le big data, mais aussi l’art et le design. « La plupart des programmes à travers l’Afrique ne sont pas conçus avec empathie, compassion et bienveillance », déplore-t-elle. « L’art m’a aidée avec ma santé mentale quand je grandissais, alors apportons un curriculum mélangé qui centre l’humanité dans tout ce que nous faisons. »
Cette approche humaniste de la technologie s’appuie sur son expérience personnelle des traumatismes et de la résilience. Mariéme Jamme ne se contente pas de former des programmeurs ; elle construit des leaders capables de comprendre les enjeux globaux et de créer des solutions technologiques qui servent véritablement l’humanité.
Conseillère auprès de géants comme Google, Microsoft, la Banque mondiale, Unilever, mais aussi de l’administration Obama et de plusieurs gouvernements africains, Mariéme Jamme utilise son influence pour transformer les systèmes de l’intérieur. Elle a rejoint le conseil de la Reskilling Revolution du Forum économique mondial, une initiative visant à former et reconvertir un milliard de personnes d’ici 2030.
Elle a également fondé Accur8Global pour conseiller les gouvernements sur l’éthique, les risques et la gouvernance de l’intelligence artificielle, garantissant que le développement technologique africain soit responsable et bénéfique pour tous.
« Je suis très fière d’avoir une identité de femme africaine et je pense que ma voix est écoutée dans le monde entier », affirme-t-elle. Cette reconnaissance mondiale elle figure dans les Powerlist britanniques des 100 personnalités les plus influentes d’ascendance africaine et afro-caribéenne, a été nommée parmi les 100 femmes de la BBC et mise en avant par le géant chinois Alibaba dans sa campagne « Watch Out For This Woman » lui confère une légitimité rare pour plaider la cause africaine sur toutes les scènes internationales.
À 47 ans, première Sénégalaise à avoir atteint l’Arctique, Mariéme Jamme ne ralentit pas. Elle lance des podcasts inspirants pour les femmes et les jeunes filles, écrit son premier livre pour raconter son histoire avec « le bon vocabulaire » maintenant qu’elle peut « articuler sa douleur », et continue de parcourir le monde pour porter son message d’espoir et de transformation.
Son travail ne consiste pas seulement à créer des opportunités économiques, bien que cela soit crucial. Il s’agit de redonner dignité et indépendance financière aux femmes africaines à travers la technologie. Il s’agit de prouver que l’excellence n’a pas d’excuse et que, contrairement aux idées reçues, l’Afrique regorge de talents qui n’attendent que d’être révélés et soutenus.
« Maintenant j’ai l’influence, le pouvoir, la connaissance, les connexions, et je sens que nous devons vraiment faire quelque chose très rapidement pour les jeunes femmes et filles qui grandissent à travers le continent et à travers le monde », explique-t-elle. Cette responsabilité qu’elle ressent envers la jeunesse africaine la pousse chaque jour à aller plus loin, plus vite.
Dans un monde où la fracture numérique menace d’exclure l’Afrique des opportunités du XXIe siècle, Mariéme Jamme incarne une alternative lumineuse, celle d’un continent qui ne subit plus mais qui innove, qui ne copie plus mais qui crée, qui ne dépend plus mais qui émancipe. Son histoire prouve qu’avec la détermination, l’éducation et les bonnes infrastructures, aucune femme africaine n’est vouée à rester dans l’ombre.
La révolution numérique africaine a désormais un visage, une voix et une force, celle de Mariéme Jamme et des milliers de femmes qu’elle inspire et forme chaque jour. Et cette révolution ne fait que commencer.
								
								





